Rêves et réalités

Hier, après une nuit calme, l'alizé glisse tout doucement sur une mer lisse et bleu marine. Dès le premier réchauffement du soleil, une frénésie collective s'empare de  l‘équipage. C'est le grand ménage dans les coques ! Orchestré par Ronan, un grand coup d'eau de javel reblanchit coursives, toilettes et cuisine. Chacun est contraint de ranger « sa chambre », c'est-à-dire sa bannette et ses deux casiers d'environ 50 cm de largeur. L'occasion de redécouvrir toutes sortes de choses abandonnées trop vite dans les coups de vents passés : chaussettes, tee-shirts …
Une fois que le linge sale est ramassé, que le ménage est fait et que les capots sont grand ouverts, l'odeur des coursives baisse d'un cran, ce qui d'après chaque coque, n'est bien sûr pas du luxe pour celle d'en face… On est sensible à l'odeur des autres, pas à la sienne.

Lionel a un autre projet ce samedi matin. Profitant de cette navigation sans embrun, ce qui est rare, il commence la réparation du flotteur. Combinaison blanche de chantier, meuleuse en main, il attaque le carbone qui vole en poussière jusqu'au cockpit. Bientôt, avec l'aide de David comme préparateur, il résine, à cheval sur la fissure, cinq couches de carbone savamment orientées. Voilà pour la peau extérieure désormais étanche. Le temps que l'époxy catalyse, nous sommes privés de grand gennaker pendant trois heures pour ôter toute pression sur la structure et éviter la déformation du pansement. La stratification de la peau intérieure attendra quelques jours pour laisser à l'eau, prisonnière du sandwich, le temps de s'égoutter.

Avec l'aide de Rony, Léo - l'intendant du bord - extrait des bras de liaison, dans lesquels ils sont stockés, les sacs de nourriture pour la deuxième moitié du voyage. Il en profite aussi pour recompter les pots de confiture et constater que malgré tous ses immenses efforts de gestion, leur nombre sera très insuffisant…

Zolive, à qui il vaut mieux confier un ordinateur qu'un tournevis, bascule les réceptions satellite des différents appareils sur la zone «Atlantique Est ». S'ensuit évidement un bug sur les moyens de transmission du bord pendant une bonne partie de la journée, ce qui bien sûr « n'est pas grave ». Finalement, après avoir vérifié, contrôlé, éteint et rallumé pendant plusieurs heures tous les ordinateurs du bord, tout rentre dans l'ordre. Un grand moment. N'ayant plus aucun moyen de recevoir des informations météos pendant cette période, j'en profite pour visiter les deux coquerons arrière, traversés par les mèches de gouvernail, et pour écoper les quelques litres inévitables en ces endroits.

Bref, c'est avec un bateau « neuf » que nous attaquons notre troisième océan. Comme les gars ont bien travaillé, nous avons empanné cet après-midi à seulement trois milles de la côte namibienne. Un grand spectacle de dunes, de roches beiges et ocre, de falaises brunes et rouille. Une arche de pierre gigantesque, des vallons parsemés de rares touffes de végétation, des montagnes au loin, et deux  toutes petites maisons. Un autre monde. Tout en filant à 30 nœuds sur l'eau turquoise, notre esprit vagabonde. D'une mer à l'autre, les milles défilent, les rêves s'empilent et les voyages attendent leur tour.

Un dernier empannage et nous plongeons, plein ouest, au cœur de l'Atlantique. Hier soir, c'était sans doute notre dernier albatros. Adieu l'hiver austral, adieu l'Afrique. Cap sur St Hélène …

Dominic Vittet

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