La force du collectif
Le Maxi Edmond de Rothschild a pris place dans l’avant-port de Saint-Malo hier matin, complétant ainsi l’impressionnante flotte de cent vingt-trois bateaux que comptera cette Route du Rhum-Destination Guadeloupe. Depuis l’arrivée du dernier-né des Gitana au pied des remparts de la cité Corsaire, l’équipe technique s’affaire ; check des appendices, des flotteurs, du mât, validation du contrôle de sécurité auprès des organisateurs, même si le Maxi est fin prêt à s’élancer, la « job list » est précise avant de laisser totalement Sébastien Josse et sa monture en « tête-à-tête ». Les membres de l’équipe dirigée par Cyril Dardashti préparent ce rendez-vous depuis des mois et ils ne veulent rien laisser au hasard. Cette volonté collective est bien le point de départ de l’exploit sportif et très probablement l’une des clés de la réussite de tels projets en solitaire.

« Mon arme secrète ? Le Gitana Team » Voilà ce que confiait Sébastien Josse il y a quelques semaines en interview. Marin d’expérience, rompu aux grands rendez-vous en solitaire, Sébastien sait combien l’équipe qui l’accompagne quotidiennement est décisive dans l’exploit sportif qu’il s’apprête à relever. A fortiori sur un maxi-trimaran volant dernier cri, emblème de la rupture technologique que vit la course au large, qui réclame une mise au point pointue et irréprochable.

« L’équipe a fait un travail monstre ! Elle s’est énormément investie et beaucoup remise en cause car il y avait de nombreux points sur lesquels on butait. Et on butait non pas parce que nous sommes mauvais mais parce ce bateau nous fait basculer dans l’inconnu ! Donc il a fallu  essayer encore et encore sur des systèmes d’une grande complexité» confiait Cyril Dardashti, celui qui orchestre à terre le Gitana Team depuis plus de dix ans.

Le team manager est revenu sur les quinze mois écoulés depuis la mise à l’eau du dernier-né des Gitana en juillet 2017 et sur la complexité de la tâche qui incombe à son équipe : « À bord de ces Maxi, les charges sont énormes du fait de la taille du bateau et des vitesses qui sont atteintes. La difficulté est que chaque changement, chaque modification est très longue, car il s’agit de grosses pièces. Entre le moment où l’on constate un problème et le moment où l’on déclenche et fabrique la pièce, il se passe des mois, pour les nouveaux appendices (safran) ça a duré quasiment un an. C’est pourquoi nous n’avons pas le droit à l’erreur, les choix doivent être mûrement réfléchis avant de lancer les productions.

Avec le Maxi Edmond de Rothschild, nous sommes au début de l’histoire, au début de l’exploitation sportive du bateau. L’année dernière c’était une course contre la montre pour être au départ et à l’arrivée de la Transat Jacques Vabre car nous voulions vraiment avoir les données nécessaires à la mise au point du Maxi. Guillaume Verdier et son équipe nous ont dessiné un très beau bateau mais la connaissance que nous avons des bateaux volants au large est nulle. Nous découvrons et apprenons tous les jours !  Chaque navigation nous permet de collecter des centaines de données et chaque sortie nous fait faire des bonds énormes dans notre apprentissage. Ces machines sont incroyables mais d’une exigence tout aussi incroyable. L’équipe était déjà réputée pour sa rigueur mais avec ce bateau nous avons passé un cap dans la maîtrise et la compréhension que l’on doit avoir d’un bateau. Nous sommes chirurgicaux dans nos décisions, nos process et dans la manière dont nous appréhendons les sujets. Je suis très fier de l’équipe et je veux vraiment en féliciter chaque membre parce qu’il n’y en a pas un qui a lâché ! » concluait Cyril.

« Maintenant c’est à moi de jouer je le sais ! Je suis seul à bord mais ils sont tous derrière et ils vivront la course avec beaucoup d’intensité » glissait Sébastien Josse.

Un simulateur maison : objectif performance et compréhension du bateau

Depuis des mois, le Gitana Team travaille sur un projet de simulateur avec l’un des grands spécialistes du sujet, Jean-Claude Monnin, membre de Emirates Team New Zealand.

Romain Ingouf, design coordinateur et responsable du R&D au sein du bureau d’études du Gitana nous détaille la genèse et les enjeux de ce projet dont le nom de code est Gomboc.

D’où est venu ce souhait de développer un simulateur ? « Par le passé, les équipes de course utilisaient ce qu’on appelle des « polaires ». Ces polaires sont fournies par les architectes du bateau et réalisées avec un VPP (Velocity Prediction Program), et ont pour but d’indiquer les vitesses cibles du bateau. C’était un moyen de tirer la quintessence du bateau car, tant que le bateau n’atteint pas ces vitesses cibles, c’est qu’il est mal réglé. Cette méthode a présenté des limites, car nous ne pouvions pas faire varier les réglages de voiles ou d’appendices pour arriver à la meilleure performance. La phase de compréhension du bateau était ainsi très longue car seul le temps passé en mer à tester des réglages apportait les vraies réponses nécessaires à la mise au point. Le temps étant précisément ce après quoi nous courrons, le développement d’un simulateur s’est imposé à nous. »

Comment fonctionne t-il et quelles sont ses applications concrètes ? :  « Il permet de faire varier les réglages des voiles et des appendices et d’observer en temps réel les performances du bateau (vitesse) mais également son comportement (équilibre, hauteur de vol, sa souplesse, etc…). Nous entrons ainsi dans une nouvelle ère où nous pouvons dorénavant essayer des réglages et configurations du bateau, avant même d’enfiler le ciré. Avec des bateaux à la maintenance et logistique lourde, cela permet de gagner du temps et de l’argent.

Pour faire un parallèle avec la Formule 1, le simulateur est également un outil qui permet de tester virtuellement des nouveaux design d’appendices ou de voiles, sans devoir les construire et tester physiquement. Cela représente des économies non négligeables. Sur un bateau de 32 mètres, construire un nouveau foil demande de 5 à 7 mois. Être en mesure de tester ce foil en jugeant la performance et le comportement du bateau dans le simulateur est donc un outil très puissant. Tout comme en F1, le simulateur permet ainsi de tester des nouveaux éléments sur le bateau, mais également au skipper de se familiariser aux comportements du bateau.»


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