Au milieu de l'Atlantique, les jours se suivent et ne se ressemblent pas. : Gitana X n'a plus que 75 milles de retard sur Banque Covefi ce samedi matin et 150 milles sur Sopra Group ralentis dans leur progression faute de vent, tandis que Marc Guillemot et son équipage filent à près de 20 nœuds. Le différentiel en distance devrait donc encore se réduire dans la journée.
Mais devant, les leaders se sont échappés à la faveur d'une brise plus favorable et la bataille reste très ouverte entre cinq trimarans : Sergio Tacchini, Groupama, TIM-Progetto Italia, Sodebo et Géant alors que Foncia et Banque Populaire ont été décrochés. En fait, dès l'entrée dans l'océan Atlantique, au niveau des bancs de Terre-Neuve, les dés étaient jetés, du moins pour cette partie de la traversée, car le vent est toujours rentré par devant. L'anticyclone des Açores positionné très au Nord, a bloqué les poursuivants dont Gitana X qui a été obligé de tirer des bords au vent arrière pour s'extraire de ce piège. Yves Parlier en a fait encore plus l'expérience, lui qui concède désormais plus de 650 milles sur le premier et a dû tirer des bords contre le vent le long des côtes de Terre-neuve !
Malgré ce retard sur les leaders, le moral est au beau fixe sur Gitana X qui a retrouvé un rythme plus conforme à sa puissance et l'équipage peut de nouveau apprécier les conditions météo dans une brise de secteur Ouest 18 nœuds et un soleil enfin apparent après plusieurs jours de brumes. A bord, Nicolas Raynaud et Marc Guillemot retracent les trois derniers jours de course.
Jeudi 15 juillet : Le ‘déjà' et le ‘seulement'
« En mer, la notion de temps devient fragile et en "prend un sacré coup". Le temps se dilue, vole en éclat. Il faut faire un sacré effort de mémoire, se pincer la joue et plus sûrement consulter l'écran de l'ordinateur pour savoir que nous sommes aujourd'hui dans notre cinquième jour de mer à l'heure où j'écris ces lignes. Bien sûr je viens de vérifier : nous sommes bien le jeudi 15, il est 17 heures TU et nous naviguons toujours sous gennaker dans une belle purée de pois (brouillard). Et le ‘déjà' l'importe haut la main sur le ‘seulement' ! Pourtant, force est de reconnaître qu'il ne se passe pas grand chose pour l'œil d'un terrien. En cumulé depuis le départ, notre temps de manœuvre - envoi de gennaker, code 0, affalage, virement de bord, empannage, enroulage-déroulage Solent - ne doit pas dépasser, très bien pesé, les cinq heures !! Le reste du temps appartient à l'infinie. Une barre que l'on pousse d'un côté ou de l'autre de quelques centimètres, des écoutes que l'on choque ou borde là encore sur quelques centimètres, deux sacs à voiles que l'on déplace de quelques mètres et puis c'est tout. Le reste du temps appartient à la contemplation, à des repas pris sur le pouce (et pour cause !) et à des dodos hachés menus. Même le rapport jour/nuit, censé guider la vie de l'espèce humaine, prend ici une jolie claque. Le jour comme la nuit, le Gitana X vit au même rythme. Pour preuve si besoin était, l'autre nuit (la nuit dernière, la nuit d'avant, je ne sais plus) nous avancions à plus de 25 nœuds, dans le noir total, surhaussé d'une brume à couper au couteau. Pour négocier au mieux le passage entre l'île de Miquelon et celle de Saint-Pierre, passage long de seulement cinq milles, l'envoi du gennaker s'imposait. Le plus naturellement du monde, tout le monde était sur le pont ... Un truc qui n'existe qu'en course et qui fait que la notion de temps ici ne veut plus dire grand chose. Notre seul réel rapport au temps vient de nos concurrents. Au fil des heures et des classements, force est de reconnaître que, pour l'instant, le temps nécessaire pour les rattraper va en augmentant... » Nicolas
Vendredi 16 juillet : Sea & surf
« Enfin, à bord du Gitana X, nous goûtons à la glisse après trois jours à "ramer" pour se sortir d'un anticyclone bien ancré sur notre route. Depuis le milieu de la nuit , nous naviguons sur sa "face Nord" le long de l'isobare 1020 ; celui qui nous a gâché la vie depuis Terre Neuve nous offre de beaux surfs avec des vents de 20 nœuds de secteur Ouest. Ce matin en joignant la terre, nous apprenons que Gitana 11 est en difficulté en plein milieu de l'Atlantique, heureusement sans dommage pour l'équipage. Difficile de traverser aujourd'hui sans toucher quelque chose : un cétacé ou un objet flottant qui a pu être perdu par un cargo, peut-être genre un container. La dernière transat en solo le confirme malheureusement, puisque dans la même journée, en mer d'Irlande, quatre bateaux y font les frais. A dire que la mer deviente une poubelle , il n'y a qu'un pas...
A bord du Gitana X, la vie s'est organisée au rythme des empannages, des repas, du temps de sommeil. OK, ce n'est pas une organisation bien réglée où tout est calé, affiché, ordonné mais ça fonctionne. Luc Poupon, cloué à la table à carte surfe sur le Net à l'affût d'indices météo, Nicolas Raynaud jongle entre la caméra, la cuisson des pâtes et la barre, Olivier Wroczynski est de toutes les manœuvres et surveille le barreur mais que d'un oeil, Thierry Duprey et Erwan Le Roux se relaient à la barre et s'activent sur le pont et moi je jette un oeil critique et sévère sur tout se qui se passe à bord, facile...
Bref, notre position dans la course n'enlève en rien la détermination et le bon esprit de toute l'équipe et c'est bien là l'essentiel. Ah ! J'oubliais, nous naviguons sous gennaker et grand voile haute entre 21 et 28 nœuds sur une superbe mer ensoleillée... » Marco
Samedi 17 juillet : Glissades atlantiques
« Nuit noire, sans lune. Sous gennaker et grand voile haute, Gitana X continue sa route, à moins de 900 milles du Fastnet. A la barre, c'est le grand bonheur. De belles glissades à plus de 20 nœuds. On aimerait d'ailleurs des conditions plus musclées, histoire de se procurer des sensations encore plus fortes. Apparemment, ce n'est pas au programme et si cela continue, cette Transat Québec Saint-Malo va se résumer à ce long bord de portant sous vent médium. Pas un grain, pas un ris de pris dans la grand voile, le foc ORC qui reste dans son sac, pas de réels paquets d'embruns pris en pleine figure ! J'écris tout cela afin de faire mentir les prévisions météos. Un peu de sel, de piquant et des mistoufles sont nos seules chances de revenir vraiment au contact de nos concurrents. Pour le moment, nous glissons sereinement dans la nuit, un privilège déjà énorme. Alors, nous en profitons à fond. Advienne que pourra... » Nicolas