Charles le Magnifique
Il a attendu le demi-siècle pour réaliser son rêve de tour du monde en solitaire. Et c’est peut-être cet exploit tant espéré qui permettra au public de découvrir ce grand marin très discret souvent passé à côté des projecteurs, malgré son énorme palmarès.
La brise de la cinquantaine

Ces cinq dernières années, Charles Caudrelier a emmené le Maxi Edmond de Rothschild tout en haut de l’affiche. Aujourd’hui, à 300 milles de l’arrivée de l’Arkea Ultim Challenge, il s'apprête à vivre un des plus grands moments de sa vie de marin, une consécration, le lendemain de son 50e anniversaire.

Une enfance au bord de l’eau

L’histoire commence quatre décennies plus tôt lorsque les Caudrelier quittent Paris pour s’installer à Beg Meil, dans la maison des arrière-grands-parents, posée face à la baie de La Forêt. Charles et ses trois frères et sœurs profitent d’une enfance au bord de l’eau, bercés par les marées et le ballet des bateaux. « Mon père était surtout passionné de chevaux, mais il a toujours eu des voiliers, des petits monocoques de 30 pieds, modestes, mais bon marcheurs » raconte Dimitri, le petit frère de Charles.

Adolescent, c’est dans l’herbe verte des greens ou un fleuret à la main que Charles se distingue. Le plan d’eau qu’il sillonne en planche à voile, n’est au début qu’un terrain de jeu plaisant. Bientôt, pourtant, le spectacle des navigateurs solitaires qui bataillent en Figaro sous ses fenêtres, devient irrésistible. Tout comme ces départs de course auxquels il assiste avec son père Christian. Ces marins téméraires prenant d’assaut l’océan le fascinent. Alors pourquoi pas lui ?

À l’école des vagues

Il apprend seul, absorbe toutes les données sensibles de son futur environnement : le bruit du clapot, le sifflement du vent dans les drisses. Et cette odeur particulière de

sel, d’humidité et de plastique qui imprègne l’intérieur des bateaux où il lui arrive de passer ses nuits, en catimini. Parfois, même, il largue les amarres pour s’offrir une virée nocturne, seul sous les étoiles. « Il est arrivé que mon père le surprenne au petit matin, en train de revenir vers la maison sous spi » se souvient Dimitri. 

La compétition, il y arrive par la petite porte - régates locales, twenties cup, navigation sur le Figaro paternel loué à Marc Guillemot -  avant de frapper à celle du Pôle Finistère Course au Large. Au début des années 90, Franck Cammas l’enrôle dans sa bande. Pour Charles, c’est le début d’une longue collaboration et le temps des premières confrontations avec les stars du circuit. Mais ce n’est qu’après l’obtention de son diplôme de Marine Marchande - il faut bien assurer ses arrières - qu’il entre en religion avec la course au large.

Le partenaire que tout le monde s’arrache

La vocation est tardive, mais les résultats rapides. En 1999, pour sa première Solitaire du Figaro, il domine le classement bizuth et s’offre un top 10, avant de remporter la course cinq ans plus tard. Il ne faut pas attendre bien longtemps avant que le sérail ne s’arrache ce marin doué, sérieux, humble et ultra compétiteur : Marc Guillemot, Sébastien Josse, Pascal Bidegorry, Michel Desjoyeaux  et Franck Cammas  (entre autres) connaîtront le succès à ses côtés.

Charles, qui aspire à naviguer en solitaire autour du monde, assume alors son rôle de partenaire parfait. Et faute de Vendée Globe - il cherchera pendant très longtemps un budget pour participer à la course -, il prend la tangente en équipage. Ses pairs ou compagnons d'armes lui rendent aujourd’hui un hommage unanime : 

« J’ai adoré naviguer avec lui ! Ce n’est pas une diva. C’est une tête bien faite qui n’a pas la grosse tête » confie Michel Desjoyeaux. « C’est un énorme bosseur, une belle personne avec de belles valeurs. Tout ce qu’il a fait dans la vie est le fruit de son travail, il s’est battu pour y arriver » ajoute Pascal Bidégorry. « Sur l’eau, il n’y a pas une seule seconde où il n’est pas en compétition. Il se met une pression phénoménale pour réussir. Il incarne vraiment le travail du pouillème, du micro détail », dit un de ses anciens co-skippers sur la Transat AG2R.

Commandant à la passerelle

Ses qualités n’ont jamais échappé à Franck Cammas. En 2010, Charles devient son routeur pour une Route du Rhum victorieuse. Puis il intègre le VOR 70 Groupama 4 sur la Volvo Ocean Race. Son premier tour du monde comme navigateur et barreur débouche sur une victoire à l’arrachée, dans la dernière étape. Charles est désormais mûr pour prendre les commandes. A 40 ans, il devient capitaine de l’équipe chinoise Dongfeng qu’il emmènera par deux fois autour du globe. Une aventure collective intense récompensée par le plus beau des trophées dans l’édition 2017-2018.

L’aventure Gitana

En 2019, il est choisi par l’écurie fondée par Ariane et Benjamin de Rothschild pour skipper le Maxi aux cinq flèches. « Chez nous, il a développé à fond son côté ingénieur. Il est allé creuser tous les sujets pour comprendre le vol, s’est penché sur les études aéro, a travaillé sur le simulateur. Dans notre discipline, il est essentiel d’avoir des sportifs de haut niveau, aguerris physiquement, avec une tête bien faite. Il coche ces trois cases » note son ami et directeur technique Pierre Tissier. « Il a beaucoup d’humilité, il est simple dans sa façon d’être et de faire. C’est quelqu’un qui reste à sa place et qui mesure la chance qu’il a de vivre de sa passion. Et il sait mettre en valeur les autres, il est dans le partage avec son équipe » relève de son côté Cyril Dardashti, le patron du Gitana Team.

L’homme derrière le marin

Cette générosité, il l’incarne à terre, lorsqu’il est entouré des siens, de sa famille, de son clan : ils seront une soixantaine à l’attendre à son arrivée sur les quais de Brest !  Et à ses deux enfants - qui ont pratiquement grandi autour du monde, sur les pontons de la Volvo Ocean Race -, il voue aussi un amour absolu, échangeant des messages quotidiens avec son fils pendant la course, ménageant les appréhensions de sa fille à laquelle il avait assuré « qu’il ne prendrait aucun risque ». 

La marque des grands sportifs

Comme la plupart des grands sportifs, Charles a aussi ses failles. «  Parfois, il peut être son meilleur ennemi » confie la mère de ses deux enfants, avec beaucoup de bienveillance. L’intéressé ne nie pas : « en solitaire, j’ai l’impression d’être une machine, un robot connecté à la performance. Une machine qui est là pour gagner mais qui doute en permanence. Ça peut me jouer des tours mais en même temps, c’est ce stress perpétuel, cette angoisse de perdre des milles, de faire une erreur, de rater un truc qui me tire vers le haut et me permet d’être performant, de ne jamais rien lâcher » déclarait-il il y a quelques jours.

Le relâchement, il ne le connaîtra qu’une fois la ligne franchie demain mardi autour de 8 heures du matin. Et qu’une fois définitivement bouclée sa course, son graal personnel, le tour du monde en solitaire dont il a rêvé toute sa vie.

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