Eté maudit

En luttant l'un contre l'autre au niveau de l'équateur, les deux hémisphères météo provoquent une belle pagaille sur une large partie de l'océan.

Quand les deux alizés, plutôt Nord-Est pour l'hémisphère Nord et plutôt Sud-Est pour l'hémisphère sud, ont des trajectoires proches, ils peuvent s'unir dans un vent d'Est doux et régulier, et le Pot-au-Noir n'est qu'une formalité invisible.

Par contre, quand ils sont attirés plus perpendiculairement à l'équateur, ils s'entrechoquent, montent à la verticale et  créent un « Pot » sans vent, qui atteint couramment 500 kilomètres de large. Les seuls espoirs résident alors dans l'énorme activité nuageuse qui s'y développe, les plus gros grains générant leur propre souffle.
Mais juillet-août nous réservent une autre particularité : l'alizé de l'hémisphère Sud, plus musclé que son confrère surtout en cette saison, déborde largement côté nord et produit deux effets : d'abord la zone de convergence entre les deux vents se décale vers le Nord, c'est pourquoi le Pot au Noir atlantique est plutôt situé entre 8°Nord et 13°Nord. Ensuite, plus le « Pot » remonte, plus l'alizé de Sud-Est - qui subit une déviation en franchissant l'équateur-  s'enroule vers la droite et prend une direction Sud-Ouest en se chargeant d'humidité. C'est le phénomène de mousson bien connu dans les contrées asiatiques. C'est en exploitant cette opportunité que nous avons pu, ces derniers jours, progresser vers le Nord non loin des côtes africaines, avant de grignoter les derniers milles grain après grain pour franchir enfin cette ligne de démarcation tant redoutée.

Les 300 milles parcourus en deux jours et les manœuvres incessantes ont finalement ouvert une fenêtre sur un Atlantique Nord relativement typique d'été : l'anticyclone des Açores, avec son grand soleil et ses vents d'Est que tous les vacanciers attendaient en août, monte enfin sur l'Europe !  Et les dépressions, synonymes de vents d'Ouest et de pluies sont bloquées loin dans l'Ouest ou vers le Nord de l'Océan. En clair, une calamité pour nous qui préférerions, ne vous en déplaisent, que la pluie arrose les jardins et que les feuilles volent dans les gouttières ! Et au diable les vents d'Est !
La remontée s'annonce donc pénible même si une petite dépression orageuse qui circule du côté de Madère devrait nous filer un coup de pouce pendant deux ou trois jours.

Même s'il est hors de question de lâcher prise si près du but, l'équipage, pourtant habitué à ces jeux de hasard, grommelle dans les coursives et insulte les cieux, avant de déglutir cette remontée au vent de 5000 kilomètres qui s'impose.
Du coup, les inconforts et les irritations s'exacerbent. Les bannettes commencent à sautiller et l'humidité sournoise revient sur les parois. Les repas lyophilisés montrent franchement leurs limites.
Les stocks de vêtements propres s'épuisent. Il n'y a quasiment plus rien à mettre sur les tartines et les trois pots de confitures restant ne feront pas la jonction avec le premier petit déjeuner qui nous attend à Londres. Bref, chaque détail devient important et on sent bien, par moment, qu'il suffirait d'une broutille pour que cette merveilleuse machine humaine qu'est un équipage, déraille.

Chacun fait son effort. Léo a sorti des coins secrets de la cambuse un lot de petits toasts improbables. Lionel nous fait rire en confectionnant une ligne de pêche espérant améliorer l'ordinaire…Les livres changent de main. On discute des copains. Mine de rien, on oublie les 2400 milles lents et humides qu'ils nous restent à parcourir.

Tenir, en pensant fort à vous les terriens, vous qui allez profiter de cet été indien. Indien, mais maudit quand même !

Mino qui profite d'une mer encore lisse pour vous écrire un mot

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