Premier croche-patte

Même si nous avions ralenti un peu, la journée d'hier restait bonne. Phénomène fréquent sous ces latitudes : le ciel s'était mis à changer, se chargeant de plus en plus de nuages noirs et menaçants. Des nuages qui circulent anarchiquement dans l'alizé et chamboulent le vent sur leur passage. Les conditions de navigations devenaient plus exigeantes. Dans la grisaille du petit jour, la pluie était même de la partie, rinçant du coup pont, voiles, accastillage et cirés pulvérisés par le sel de nos quatre belles dernières journées de vitesse.

Vers 8 heures, un très gros grain, bouchant tout l'horizon, nous rattrape. Son front noir expulse l'air en rafales, puis vide ses eaux sur nous. A bord, la manœuvre fuse. Rouler l'énorme gennaker de 500 m², prendre un ris dans la grand voile et dérouler le solent. Qu'importe la pluie battante, on fonce sur la route. Ces monstres atmosphériques étant souvent le signe d'un changement, d'une frontière entre deux masses d'air, et donc la limite entre deux vents différents, nous guettons la sortie. « Que nous réserve celui-là ? », comme souvent derrière un grain alizéen le vent tombe, et dans un premier temps, nous ne sommes pas inquiets. Sauf que cette fois-ci, le calme dure … douze heures ! Excepté quelques bouffées d'air passagères et trompeuses, Gitana 13 ne fait que ballotter sa « carcasse éléphantesque » sur une mer lisse et désespérante. La poisse ! Une « rupture d'alizé » qui ne laisse la place qu'à la pétole et à la désolation. Tous les beaux stratagèmes s'effondrent. Tout est remis en cause. Les timings deviennent faux ou irréalisables.

« Encore une journée de foutue » diront certains. Certes non ! L'équipage déçu ne tarde pas à tirer profit de cette belle occasion ensoleillée : l'écoute de grand voile transformée en fil à linge s'est recouverte en quelques minutes de slips, chaussettes et autres tee-shirts mouillés ; David et Rony (Ronan Le Goff, ndlr) ont remplacé les drosses de barre bâbord qui donnaient quelques signes de faiblesse ; Lionel a  fait un check complet du gréement, Zolive s'est battu avec l'ordinateur,  Ronan s'est rasé, Léo a compté les pots de confiture (c'est une catastrophe, il n'y en aura jamais assez)…
Bref, notre belle plateforme de compétition se transforme au fil de la journée en une basse-cour affairée ou chacun profite de ce moment propice pour sortir sa job list.

L'Indien nous a fait son premier croche-pied et mis à la poubelle d'un battement de cils les quelques beaux milles provisionnés depuis Java. La pilule est un peu dure à avaler mais qu'importe ! Une nouvelle route est d'ores et déjà tracée vers Le Cap. Elle est fragile, car plus au Sud, un monstre se prépare…

A demain !

Dominic Vittet, sous la constellation du scorpion

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