Nuit Equateur

« L'équateur est une ligne imaginaire qui sépare la terre en deux hémisphères...» apprend-on sobrement à l'école des terriens. Pour le marin, ce mot prend une signification toute particulière. Il désigne plutôt "une zone incertaine et compliquée réservant son lot de surprises"...

A cette latitude, l'atmosphère, gorgée d'humidité et de chaleur, est un bouillon de culture pour phénomènes météo. Ils prennent naissance, se développent, se déplacent, s'amplifient ou meurent à des vitesses spectaculaires. Souvent dépassés par leur vitesse d'évolution, les météorologues s'arrachent les cheveux depuis des lustres pour essayer de comprendre, de rationaliser,  ou de prévoir ...au mieux.  Certes, les grands principes sont connus : le repérage des principales masses d'air progresse, les satellites observent et mesurent et les stations d'enregistrement modernes nous apportent des informations de plus en plus pertinentes. Malgré tout cela, l'aléatoire reste de mise. Sur l'océan des réalités, le marin subit les caprices de cette zone infernale. Dans une anarchie totale, elle produit ses calmes, ses nuages, ses orages, ses grains, et jette aux orties les belles théories. C'est le pot au noir!

Pour rejoindre plus au sud la Mer de Java, toucher les alizés et filer dans l'indien, Gitana 13 est confronté depuis hier à cet exercice périlleux. Sylvain, notre routeur, est à fond. Disposant chez Météo France d'un arsenal solide et recevant en permanence la position du bateau, il définit les grandes lignes. A mon tour, je lui renvoie les observations du "terrain". Ensemble, nous affinons une stratégie.

Dans la moiteur équatoriale, le bateau glisse tout doucement vers le sud. Le vent est faible, la mer lisse et les orages éclatent en silence sur Bornéo, invisible mais presque palpable à 25 milles sous notre vent. Les bateaux de pêche indonésiens circulent sur l'horizon et requièrent parfois une attention particulière. Le nez sur les compteurs, les barreurs se relaient. Concentrés, ils espèrent à tour de rôle attraper enfin l'alizé de Sud-Est, synonyme de porte de sortie. Les heures passent, les nuages aussi. La nuit se meurt et nous pataugeons toujours vers l'équateur. Tout le monde attend que « Monsieur le Pot au Noir » dans son immense générosité, veuille bien enfin laisser passer quelques bribes d'alizé... Patience.

Dominic Vittet

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