Samedi 4h00 TU. Depuis plusieurs heures et pour plusieurs heures encore, nous jouons un nouveau jeu : essayer de nous présenter dans le meilleur timing possible dans le Détroit de Lemaire qui est la porte d'entrée pour attaquer le contournement de la pointe de l'Amérique du sud. Hors actuellement, d'après les fichiers météos et les dernières infos délivrées par Sylvain Mondon, cela ne « passe pas ». La porte est fermée ! C'est pour cela que nous tirons un bord, à faible allure vers la côte, histoire de nous protéger un peu des conditions de vent et de mer. Mais dans quelques heures, celle-ci devrait s'ouvrir, avec à la clef un passage des eaux de l'Atlantique à celles du Pacifique qui ne s'annonce pas de tout repos. Cela, on le savait déjà, sur le papier c'était marqué : la Route de l'Or, avec passage du cap Horn contre vents et courants. On ne pourra pas dire qu'on n'était pas prévenus…
Comme toujours, plus que le vent, c'est la mer qui pose problème. Ce Détroit entre l'île des Etats et le continent peut être comparé au fameux raz Blanchard ou encore aux Bouches de Bonifacio. Effet venturi, courants, tout y est… Mais ici, dans cette région du Horn qui ne tient pas sa légende par hasard, l'air est plus lourd, plus dense que partout ailleurs. La mer y est plus forte et plus violente aussi. Creux de six à quinze mètres, crêtes déferlantes, sont ici des lieux communs avec lesquels nous devons apprendre à composer si nous voulons continuer notre grand voyage.
La nuit dernière, nous avons eu droit à une piqûre de rappel de ce qu'est la navigation au près serré, dans la « baston », sur un maxi catamaran comme le nôtre. Et bien ce n'est tout simplement pas drôle ! Ce n'est que violence et dureté, le mot plaisir est ici banni. Avec 45 nœuds établi et sous 3 ris seuls, nous avons fait le dos rond pour avancer à une vitesse raisonnable sur une mer bien formée, avec quelques jolis « talus » où l'on voit les coques de Gitana 13 décoller, jusqu'à laisser apparaître les puits de dérive, puis basculer dans le vide pour frapper au fond de toute sa puissance la mer qui vole en éclat. Attention ici, le problème n'est pas d'aller vite mais justement de bien juguler la puissance de Gitana 13 qui ne demanderait qu'à cravacher sur cette mer démontée avec au bout une inévitable sortie de route. Vêtue de sa combinaison sèche, les mains protégées par des gants puisque le fond de l'air est vif, le barreur a plus que jamais un rôle capital à tenir, la vitesse pouvant varier du simple au double sur un infime changement de trajectoire. A 10 nœuds, cela passe, à 20 nœuds…
Si à l'intérieur, tout n'est que punition puisque le moindre geste se doit d'être calculé, composé, pour arriver au but voulu et que même reste allongé dans sa couchette demande un certain savoir faire, à l'extérieur, la récompense est la qualité du spectacle proposé. Car si nous venons de vivre notre premier vrai coup de vent depuis le départ, c'était également une tempête de ciel bleu. C'était beau, c'était même très très beau.
A demain.
Nicolas Raynaud