Un champ de baleines

Et en 10 minutes ce fut la guerre ! Hier mardi, lors de notre 13ème journée, nous avons vécu sur un rythme à quatre  temps, passant  de l'été à l'hiver, du calme à la « baston ». Au petit matin nous filions tranquille toutes voiles dehors, plus de toile en l'air ….. Nous sommes surpris par la douceur ambiante après une première nuit un peu fraîche depuis longtemps. Au large de Rio de la Plata, l'équipage prend une douche d'eau de mer dans le cockpit, avec 2 litres d'eau douce maxi pour se rincer, bien conscient que ce sera la dernière avant un petit  moment… Une fois propre, il est grand temps d'aller rejoindre notre salle de sport pour un de nos enchaînements favoris, soit le remplacement de la trinquette de portant par celle dévolue au près, puis le tomber de gennaker au vent du solent à nouveau déroulé ! Avec les mises en sacs, les matossages, le temps a passé vite et a insidieusement changé, passant du bleu franc au gris-bleu.

La récompense de ce bel effort vient de souffles qui font jaillir l'eau de mer de toutes parts. Les baleines sont là, tous à vos jumelles ! Quelques dos aperçus et puis s'en vont.. et nous de constater qu'avec bonheur nous n'avons encore rien touché depuis le départ. On croise les doigts… A belle allure, nous négocions de mains de maîtres notre deuxième thalweg en moins de trois jours et, dans ce passage qui ponctue la franche rotation des vents, tout change, tout bascule en quelques milles. Le vent du sud, venant de l'antarctique, fait immédiatement chuter la température. Le bleu azur de la mer n'est plus que vert bouteille et l'horizon se voile d'une couche plus ou moins épaisse de brume due au contact de cet air froid avec une mer encore chaude.

Dans cet univers de mille nuances de gris qui pourrait nous faire croire à une navigation hivernale le long de nos bretonnes côtes, nous connaissons un de ces moments de pur bonheur, là où le bateau vole, léger comme un oiseau. Nulle part ailleurs on ne voudrait être… et puis, en un  rien de temps, cette mécanique de rêve se brise, cassée par une houle de face qui vient saccager notre élan. Gitana 13 ne glisse plus, il cogne, rebondit, écrase de toute la puissance de ses 25 tonnes les vagues qui veulent entraver sa marche. Sans hésitation, nous laissons la mer gagner ce combat perdu d'avance, réduisant par deux notre vitesse sous peine de tout exploser. A l'heure où je tape ces lignes, cela ne s'est pas calmé. Sous un ris/trinquette, à 17/18 nœuds, nous continuons notre marche en avant dans un vrai vacarme, secoué comme jamais. Juste au dessus de moi, j'entends des cataractes tomber sur les trois hommes de quart. Le jour va se lever et la mer j'espère se montrera à nouveau bonne fille…

A demain

Nicolas Raynaud

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