Un bras de fer permanent

En règle générale, la navigation sous un régime d'alizé reste une bien belle chose. Les couleurs sont d'une rare intensité et ici, regarder la robe bleue de Gitana 13 luisante de soleil glisser sur le bleu profond de l'océan procure un ravissement sans fin. La douceur est parfaite puisque le port du T-shirt et du short suffisent même si ceux-ci sont souvent humidifiés par les volées d'embrun. Et puis il y a en plus des moments d'exception, comme quand l'alizé prend subitement des tours sans raison. Cela a été le cas hier jeudi, juste avant que le soleil culmine au plus haut de sa trajectoire. De 20 nœuds bien établis, le vent est monté à 22, 23, 24 nœuds. Nous étions sous solent et un ris dans la grand-voile. Sous cette simple accélération, le bateau se transforme littéralement, passant d'un état de pesanteur à celui d'apesanteur. Cette fabuleuse impression de légèreté, de puissance que rien ne semble pouvoir arrêter, s'opère dès que le speedomètre  dépasse les 25 nœuds. A bord, tout le monde la ressent immédiatement. Les mains se font plus présentes sur les écoutes et sur le visage du barreur, sourire et concentration se mêlent. A 90° du vent, l'exercice est grisant, avec une coque au vent qui effleure à peine l'eau jusqu'à ce que celle-ci décolle franchement, partant tout de suite dans les trop hauts. Gitana 13, de par son ratio poids/puissance/largeur,  a la caractéristique de décoller d'un coup. Réguler cette montée dans les airs aux écoutes et à la barre est un exercice de pur bonheur mais malheureusement interdit pour celui qui veut voir demain San Francisco. Là se situe toute la différence entre un run de vitesse à la journée et une course longue distance comme celle que nous effectuons. La gestion du matériel ne peut être la même…

Sagement la trinquette a remplacé le solent, mais pas pour très longtemps. Cette bouffée d'air est repartie presque aussi vite qu'elle était venue. Depuis nous naviguons sous solent et grand voile haute dans un alizé pas assez puissant à notre goût, puisque soufflant seulement entre 12 et 16 nœuds selon les moments. Résultat : 480 milles lors des dernières 24 heures, avec l'espoir d'en faire au moins autant aujourd'hui. Pourtant, il nous faudrait aller plus vite encore. Devant, à une latitude légèrement plus nord que Rio de Janeiro, un front orageux s'installe pour nous barrer la route. Avec lui se joue actuellement une course contre la montre. Passera, passera pas, le gain ou la perte de temps sera sans aucun doute conséquent. La chasse au record est un bras de fer permanent avec les éléments. A bord, on adore tous l'exercice.
 
A demain

Nicolas Raynaud

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