Glissades tropicales
Les conditions météorologiques sont déjà très différentes entre le leader, Lionel Lemonchois sur Gitana 11, et Thierry Duprey du Vorsent sur Gitana 12, 750 milles derrière. Pendant que la tête de la flotte glisse sur une mer lisse et dans des alizés légers mais constants, les derniers poursuivants naviguent dans un vent de Nord Est musclé et une mer dure. Et si l'arrivée de Lionel Lemonchois commence à se dessiner pour lundi dans la journée, les retardataires ne vont pas être à la fête avec un changement radical de la situation météo…

A 870 milles et environ 48 heures de l'arrivée de Gitana 11 à Pointe à Pitre, la course est encore loin d'être jouée et Lionel Lemonchois, quoique serein avec plus de cent milles d'avance sur son ami et néanmoins concurrent, Pascal Bidégorry, regarde constamment dans son rétroviseur. Le « coussin d'avance » commence à se transformer en « matelas » au fil des heures car les écarts se stabilisent et les conditions météorologiques stables et qui s'annoncent constantes jusqu'en Guadeloupe, rendent de plus en plus difficile un retournement de situation. Surtout que Lionel Lemonchois glisse sur une route presque directe vers l'arrivée et que ses concurrents se sont alignés sur la même trajectoire à quelques dizaines de milles près. A l'exception d'Yvan Bourgnon, qui fut le premier à empanner vendredi et se retrouve donc nettement décalé dans l'Est du leader : il lui faudra impérativement se recadrer sur la route par un nouvel empannage qui pourrait lui coûter très cher, au point de voir Thomas Coville, voire même Franck Cammas, lui souffler la quatrième place…
 
En fait, le seul paramètre incertain reste à ce stade de la course, le tour de la Guadeloupe qui impose aux solitaires de contourner l'île par l'Ouest, donc sous le vent du volcan de La Souffrière (1467 mètres) pour aller virer une bouée à raser la ville de Basse-Terre. Même en prenant le virage très large pour éviter le dévent du relief volcanique, il faut un moment ou l'autre, piquer vers le rivage et passer d'une brise établie de quinze nœuds de Nord Est, à des vents erratiques et faibles. L'avance acquise fond donc très rapidement, ce qui n'est bon ni pour les nerfs, ni pour le classement… Mais 120 milles à vingt nœuds, cela fait six heures de marge. Lionel Lemonchois sait parfaitement qu'il doit au minimum maintenir cet écart face à ses poursuivants et alterne donc repos, analyse des trajectoires et accélérations à la barre.

Lionel Lemonchois (Gitana 11) à 7h30 TU :
« Il commence à faire chaud à bord : depuis deux jours, la température monte progressivement et là, il y a des bouffées de chaleur alors que je suis au milieu de la nuit tropicale. Il n'y a pas de grains mais un vent stable de 15 nœuds sur une mer plate. Pascal Bidégorry en a profité pour me reprendre dix milles en quatre heures : je n'aime pas ça ! Je navigue essentiellement sous pilote automatique et je dors au maximum mais il va falloir que je change de tactique parce que Pascal devient pressant… Il doit être à la barre et il faut que je le surveille de près car il reste encore 870 milles à faire ! C'est certainement lui le plus dangereux car Yvan Bourgnon a empanné plus tôt vendredi et se retrouve au vent, Michel Desjoyeaux est à 190 milles dans mon axe, alors que Pascal n'est qu'à 120 milles mais sous mon vent. On en saura plus ce samedi midi mais a priori, c'est lui qu'il faut contrôler… J'ai croisé Ocean Alchimist, le bateau à moteur d'Olivier de Kersauson, et j'en ai profité pour faire un peu le show puisque j'étais à la barre : le vent montait et j'allais réduire en passant sous trinquette, mais j'ai attendu un peu pour les images et pour me faire plaisir. Gitana 11 est vraiment très agréable à mener et là, naviguer au près océanique avec la coque centrale qui affleure l'eau, sur une mer lisse, ce sont des sensations de vol très sympas ! Devant, les conditions météorologiques semblent être stables avec un vent de Nord Est d'une quinzaine de nœuds jusqu'en Guadeloupe. Pas de grains, pas de bascules, et je devrais arriver avant que ne se forme une petite dépression tropicale qui devrait par contre gêner ceux qui sont à plus de 300 milles derrière… Côté condition physique, ça va bien parce que j'ai pu dormir et récupérer ces dernières heures. Mais je commence à avoir un peu hâte d'arriver ! Ce n'est pas que c'est lassant, parce que ces derniers jours, c'était quand même assez chaud, assez prenant sur l'eau avec des conditions plus rudes, mais maintenant avec quinze nœuds de vent contre 20-25 nœuds auparavant, c'est nettement moins excitant… Surtout pendant 48 heures dans la même situation ! Reste le tour de la Guadeloupe : je connais un peu le coin et il vaut mieux y arriver de nuit. Et je ne sais pas encore quand j'atterrirai à Pointe à Pitre. Mais à ce rythme, ce devrait être lundi matin ! »

Si pour le groupe des poursuivants à moins de 350 milles du leader, la situation météorologique ne devrait pas changer radicalement, il risque de ne pas en être de même pour les suivants : Alain Gautier, puis Claude Thélier, Thierry Duprey du Vorsent, Antoine Koch vont devoir composer avec un minimum dépressionnaire qui vient des Antilles et avec une onde d'Est qui arrive d'Afrique... Outre le fait que ces trimarans peuvent avoir du vent contraire, il y aura coupure des alizés pendant plusieurs jours ! Cela va donc provoquer un net ralentissement de ce groupe qui concède déjà plus de deux jours de retard sur le leader. Il pourrait tout de même passer sous le temps de référence établi par Laurent Bourgnon entre Saint-Malo et Pointe-à-Pitre (12j 08h 41' 06'') mais cela n'est pas évident… Quant à Stève Ravussin, toujours en escale à Horta (Açores) pour changer de safran central, ce changement de temps ne va pas favoriser sa fin de parcours. Reste que Thierry Duprey du Vorsent sur Gitana 12 a encore l'opportunité de revenir avant l'arrivée sur Claude Thélier à qui il ne concède qu'une centaine de milles. Il lui faut profiter au maximum du vent portant qui souffle encore entre les Açores et les Antilles à plus de vingt-cinq nœuds… 

Thierry Duprey du Vorsent (Gitana 12) à 7h00 TU :
« Après la nuit de jeudi à vendredi passée sous les grains, les éclairs et le tonnerre, Gitana 12 a navigué hier dans une mer croisée avec une houle de Nord Ouest se mélangeant avec une houle de Nord Est ! Une mer très courte puisque lorsque les étraves étaient dans une vague, la suivante était déjà dans le tableau arrière en nous poussant méchamment... Tout cela avec un vent de Nord Est de 20 à 23 nœuds. Et en fin de matinée, je me suis fait une jolie frayeur : j'étais sous grand voile à un ris et foc solent et le bateau a planté les flotteurs et la coque centrale jusqu'au bras de liaison dans une descente de vague. J'étais à la barre et j'ai tenté de choquer le foc solent mais l'écoute n'a pas glissé sur la poupée de winch. Gitana 12 n'était donc pas dans une situation très standard… J'ai réduit, de façon un peu extrême avec deux ris et trinquette : j'avançais donc beaucoup moins vite mais si j'ai perdu du terrain sur mes camarades, j'en ai profité pour récupérer et dormir. Cette nuit, la mer commence à s'aplanir et nous n'avons plus que de la houle de secteur Nord beaucoup plus longue. En revanche, le vent est plus soutenu avec 25-27 nœuds et des rafales à 32-35 nœuds… Je suis encore sous deux ris et trinquette mais je vais bientôt pouvoir renvoyer au moins un ris. »

    
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