C'est déjà le dernier tiers du parcours qui pointe en ce cinquième jour de course, et le rythme imposé par Lionel Lemonchois, leader incontesté de cette huitième Route du Rhum – La Banque Postale depuis trois jours, n'a pas encore faibli… Près de 570 milles en 24 heures à 23,7 nœuds de moyenne : le skipper de Gitana 11 impose à ses concurrents de maintenir un tempo élevé pour ne pas se faire décrocher et tous ne peuvent tenir la cadence. Avec l'avantage de la position de leader, associé à un flux météorologique plus stable que celui de ses poursuivants plus lointains (Gautier, Koch, Duprey du Vorsent, Thélier), ou partis sur une route plus Nord (Coville, Cammas), le Normand a « enfoncé le clou » la nuit dernière pour maintenir la pression et grappiller encore quelques milles, histoire de conserver un « coussin d'avance » suffisant pour commencer à regarder dans le rétroviseur sans mettre en péril le bateau et le marin.
De fait, la situation météorologique s'éclaircit au fil des heures après le passage d'un front la nuit dernière, générant une brise de trente nœuds de secteur Nord dans laquelle Lionel Lemonchois n'a pas hésité à envoyer grand-voile haute et gennaker malgré une mer dure et chaotique. Au fur et à mesure que les milles défilent (et c'est toujours et encore à plus de 22 nœuds de moyenne !), les conditions s'améliorent tant au niveau température que pour l'état de la mer : les leaders sont désormais sur la bordure méridionale de l'anticyclone des Bermudes, dans un flux d'une vingtaine de nœuds qui tourne progressivement au secteur Nord Est. Il y aura donc un empannage à effectuer, probablement en soirée ce vendredi, pour se recaler sur la route directe vers la Guadeloupe. Ce moment s'annonce crucial pour bien aborder les îles sans multiplier les manœuvres, et il est probable que les écarts enregistrés ce matin, soient encore plus importants à la nuit tombante après cette manœuvre qui va faire converger tous les trimarans sur le même cap.
Du côté des poursuivants, Thierry Duprey du Vorsent continue sa route en montant progressivement le curseur vitesse et se sent de plus en plus à l'aise dans cette discipline particulière qu'est le solitaire en trimaran. Gitana 12 est aussi en parfait état et a bien négocié le virage des Açores jeudi. Au contact de Claude Thélier et à quelques milles seulement d'Antoine Koch, il ne bénéficie pas encore des conditions plus musclées des leaders et doit passer le front dans la journée. Ensuite, lui aussi pourra compter les poissons volants, glisser sur une mer plus lisse le long de l'anticyclone et réfléchir au moment de l'empannage qui visera Pointe-à-Pitre. Et si Lionel Lemonchois est attendu lundi en soirée aux Antilles, Thierry Duprey du Vorsent devrait franchir la ligne d'arrivée avec un peu moins d'une journée et demie d'écart. Le record de Laurent Bourgnon (12j 08h 41' 06'') va littéralement exploser et quasiment toute la flotte des trimarans Orma devrait en finir en Guadeloupe en moins de dix jours… Incroyable !
Thierry Duprey du Vorsent (Gitana 12) à 4h00 TU :
« Heureusement que j'ai fait une petite sieste en début de nuit parce qu'elle a été agitée par une succession de grains avec quatre à dix nœuds de vent et oscillant entre le Nord-Est et le Sud-Est ! Pas facile à suivre, avec le tout agrémenté de foudre, de tonnerre et de pluie… C'est d'ailleurs la première fois qu'il pleut depuis le départ de Saint-Malo. Encore une première sur cette Route du Rhum ! Et oh surprise, en pleine nuit, j'ai vu arriver Claude Thélier qui avait re-empanné et s'est aligné à côté de Gitana 12… Je vais manger un morceau et refaire une petite sieste puisqu'au programme de ce vendredi, on m'annonce du vent de secteur Nord pour vingt à vingt-cinq nœuds : il faudra être sur le pont pour faire marcher le bateau… »
Lionel Lemonchois (Gitana 11) à 6h30 TU :
« Ca va plutôt bien : je fais un petit tour de l'anticyclone et je dois gérer un empannage, je ne sais pas encore tout à fait quand mais probablement dans cette journée de vendredi. Ensuite, route directe vers la Guadeloupe ! Gitana 11 est absolument nickel, pas le moindre signe de fatigue et il marche parfaitement. Et pourtant, ça a été un peu chaud jeudi : on a eu pas mal de vent et j'ai pris quelques risques en soirée sous gennaker et grand-voile haute… J'y vais un peu plus tranquille maintenant. C'est incroyable en tous cas, ces vitesses et ces conditions météorologiques essentiellement au portant ! Pour l'instant, j'ai plutôt mis la poignée dans le coin (ndlr : pousser la barre) pour bien faire comprendre à mes concurrents qu'ils n'allaient pas me rattraper, mais là, j'ai pris un ris il y a quelques heures pour calmer le jeu et commencer à gérer l'avance… et il faut que je me repose un peu aussi ! J'ai un peu de mal à trouver du vrai sommeil : c'est bizarre cette sensation de dormir en restant conscient. Mais maintenant, on va vers des conditions un peu plus clémentes, ce qui devrait me permettre de récupérer un peu. En ce vendredi matin, il reste encore de la mer et du vent de Nord de trente nœuds d'hier. Comme la brise tourne progressivement, il ne faut pas trop allumer... Hier, ils m'ont mis l'eau chaude, c'est génial ! Les températures de l'air et de l'eau commencent à être très agréables : j'ai enlevé mes bottes depuis 48 heures mis une petite polaire la nuit et des sandales. C'est pas encore les chaleurs tropicales mais c'est très bien ! Côté alimentation, j'ai plutôt varié les plats depuis le départ et là, je passe aux repas cuisinés par le Mont d'Arbois après les « gâteaux Sport » des premiers jours et les Lyophals… »