La situation météorologique sur l'Atlantique Nord semble avoir été très perturbée par les cyclones à répétition ces dernières semaines ?
« D'un point de vue général, cette année a été marquée par une forte activité cyclonique même jusqu'à cette fin de saison qui se termine théoriquement à la mi-novembre. Pour la Transat Jacques Vabre, cela ne devrait pas avoir d'influence sur la zone tropicale traversée par les multicoques mais en revanche, cela peut intervenir sur la première partie du parcours car ces cyclones en fin de vie reviennent dans la circulation d'Ouest de l'Atlantique Nord après avoir longé les côtes Est de l'Amérique en perdant de leur intensité. Cette masse d'air chaud vient se confronter aux zones d'air froid polaire et renforce des dépressions venant du Québec et devenant ainsi plus actives, plus rapides jusqu'à venir frapper l'Europe.
En parallèle, l'anticyclone des Açores, s'il est bien à sa place, n'est pas très puissant et les perturbations sont passées ces dernières semaines assez au Sud (autour du 40° Nord) avant de buter heureusement sur des hautes pressions européennes : les centres sont donc remontés vers l'Islande sans atteindre de plein fouet les côtes françaises. C'est un phénomène courant à cette époque mais ce qui est moins normal, c'est la fréquence de répétition cet automne. De plus, ce type de dépressions régénérées par l'air chaud d'un cyclone, a souvent une trajectoire plus complexe et il n'est possible de prédire son passage que deux à trois jours avant seulement. Précisons aussi que ces phénomènes qui touchent l'Atlantique Nord ne semblent pas influencer la structure des alizés africains, ni la configuration du Pot au Noir. »
Quel rôle avez-vous en tant que météorologue, ainsi que Mayeul Riffet avec qui vous collaborez à terre ?
« Pour Thierry Duprey du Vorsent et Erwan Le Roux sur Gitana X, je vais travailler en collaboration avec Mayeul Riffet à terre. En fait, Mayeul sera à poste à Saint Philibert dans la base du Gitana Team et a un rôle de stratégie conseil alors que moi-même, je serai à Météo France et ma responsabilité sera de fournir des données météorologiques compilées et analysées. Pour résumer, Mayeul est le « routeur », et moi le « météorologiste ». Je réalise donc une expertise de tous les modèles disponibles dans le monde et compte tenu du parcours de la Transat Jacques Vabre, nous disposons de quatre modèles : le français, l'européen, l'anglais et l'américain. Il faut donc analyser ces données pour extraire le modèle le plus proche de la réalité afin de définir avec Mayeul un projet stratégique qui sera soumis à Gitana X.
En fonction de leur réponse s'il y a plusieurs choix possibles, nous allons affiner la trajectoire idéale que devrait suivre le trimaran selon ses polaires de vitesse (vitesse théorique prenant en compte la force et la direction du vent). Nous avons de bonnes données avec les modèles sur cinq jours mais aussi des prédictions sur quinze jours : la fiabilité est bonne sur quatre-cinq jours mais ces informations à long terme permettent aussi d'anticiper plusieurs scenarii.
Sur un modèle de prévision sur cinq jours, on parle encore de dépressions, d'anticyclones, de champs de pression, d'angle de vent… Au-delà de ces cinq jours, on définit plutôt des flux, des tendances, des centres d'action.
Mon rôle consiste à faire une synthèse météorologique pour qu'ils ne perdent pas des heures à bord à aller chercher les informations qu'ils peuvent avoir par Internet : je leur fais gagner du temps car en double, ils ont bien d'autres choses à faire ! D'autre part, je leur fournis une vision sur deux-trois jours pour qu'ils définissent mieux leur stratégie à court terme. Ma fonction est de me projeter en avant pour pouvoir anticiper ce qui va se passer sur l'eau 36h à 48h plus tard… »
Comment se déroule une journée pour l'équipe à terre et en mer ?
« Le type de données transmises à bord de Gitana X consiste en deux ou trois cartes par jour qui peuvent être autant des images satellites sous les tropiques, des cartes de gradient de pression, des champs de vent, des positions de fronts… selon la zone de navigation. En fait, la valeur des données dépend aussi de la couverture météo et de leurs précisions : pour le Pot au Noir, les champs de vent sont peu cohérents car très aléatoires au fil des heures alors que les images satellites donnent une bonne idée de l'activité nuageuse et donc des vents associés. Il y a bien sûr des fichiers Grib qui leur permettent de faire tourner les logiciels de routage qui optimisent la trajectoire, mais ce type de fichier est plus adapté à la Manche, au golfe de Gascogne, aux alizés africains.
Je travaille aussi sur les données transmises par les navires en mer qui permettent d'être plus proche de la vérité du « terrain » avec bien sûr les informations qu'ils m'envoient de Gitana X. Mayeul aura encore plus de données pour lui permettre d'élaborer une stratégie météorologique affinée qu'il transmettra au bateau. Nous allons donc réaliser un travail de synthèse à deux qui devrait sensiblement libérer les deux navigants. Avec la multiplication des sources, nous avons des données presque en continu : il n'y aura donc pas de créneaux définis dans la journée mais plutôt des contacts selon la viabilité et l'analyse. Il ne faut pas créer de rapports contraignants pour les marins qui se concentrent sur la marche du bateau.
A terre, nous aurons les positions de la flotte toutes les quatre heures et toutes les heures celle de Gitana X (voire plus si nécessaire). Si l'équipage veut contacter la terre pour plus d'infos, Mayeul est le point d'ancrage entre la terre et la mer, le seul interlocuteur pour eux. Je serai quatre jours avant le départ au Havre pour expertiser les informations avec Thierry et Erwan et faire une projection sur les trois premiers jours de course avant le coup de canon du 6 novembre. »