C’est un peu comme attaquer l’ascension de l’Everest une semaine après avoir couru un trail dans le Sahara. Le corps doit s’adapter et il faut l’aider. Avoir le bon matériel est essentiel. Sur cet aspect, le Gitana Team et Sébastien Josse s’appuient sur une longue expérience des navigations extrêmes, notamment sur les multicoques océaniques à bord desquels il faut absolument garder une grande liberté d’actions afin d’être toujours prêts à réagir. Depuis 2012, l’écurie fondée par Ariane et Benjamin de Rothschild accorde sa confiance à la marque britannique Henri Lloyd pour habiller ses marins et ses techniciens.
Gore-Tex, latex et mérinos
Tout d’abord, les tissus utilisés en 2016 n’ont plus rien à voir avec ceux des débuts de la course au large dans les années 60. Sur les photos d’époque, il n’est pas rare de voir des marins en jeans et pull marin, sous un ciré jaune, certes efficace contre les embruns mais raide et surtout très lourd à porter. Pourtant, dès 1950, un certain Bill Gore préparait une révolution. Il travaille alors chez Du Pont de Nemours, le géant de la chimie basé dans le Delaware (USA), pionnier dans les matières plastiques, avec la découverte du Nylon notamment et le développement du Néoprène, du Teflon, du Kevlar et du Lycra.
Bill propose à ses managers d’utiliser le Teflon pour concevoir des vêtements résistants, notamment à l’eau. L’idée ne convainc pas et l’ingénieur décide alors de se lancer seul. Ce sera finalement son fils, Bob Gore, qui mettra au point, en 1969, un tissu laissant sortir la transpiration mais qui bloque les gouttes d’eau. Le fameux Gore-Tex est né. Le succès s’installe seulement dans les années 80 où le tissu habille en masse les pompiers mais aussi les marins et ceux qui travaillent en extérieur. Aujourd’hui, le skipper de Gitana 16 porte des cirés en Gore-Tex, équipés d’encolures et manchons en Latex, permettant ainsi d’obtenir un très haut niveau d’étanchéité.
Pour lutter contre le froid, retour aux fondamentaux car il n’existe rien de mieux que la laine. Celle des moutons mérinos particulièrement, originaires d’Espagne et dont le temps n’a pas de prise sur l’excellente réputation de leur laine. Autour de l’Antarctique, Sébastien a choisi d’emporter des polaires et des sous-couches (hauts et collants) 100% mérinos, les mêmes que celles utilisées par les spécialistes de la haute montagne.
Superposer les couches
Au fur et à mesure que le bateau coupe les latitudes sud, le skipper va devoir ajouter des couches. « Quand il fait cinq degrés dans les mers australes, nous craignons le froid et l’humidité, alors on superpose les vêtements. On ajoute aussi des moufles, des bonnets, des cagoules. En somme, on essaie de protéger le moindre centimètre de peau car, sinon, nous dépensons des calories pour lutter efficacement contre le froid, alors que nous avons besoin de toute notre énergie pour faire marcher le bateau, » explique-t-il.
Sur l’ensemble du tour du monde, le navigateur utilise principalement deux jeux de ciré, comprenant chacun une salopette et une veste de type vareuse longue. L’un est dit " léger " pour le vent médium et l’autre est appelé " lourd " et est destiné aux conditions de navigation plus soutenues. Ensuite, lorsque cela devient vraiment très humide, Sébastien peut enfiler sa combinaison " sèche " (parce que étanche) qui le couvre entièrement de la tête aux pieds. Enfin, dans le Grand Sud, il sortira bientôt un autre jeu de ciré, mis sous vide en attendant le bon moment pour être utilisé. Celui-ci est d’une taille au-dessus de celle de Sébastien habituellement, afin de pouvoir garder une liberté de mouvements raisonnable malgré la superposition des vêtements en-dessous.
Au total, le marin peut porter jusqu’à quatre couches à la fois : deux sous-couches et une première couche (veste fine) en mérinos ainsi que ce ciré de grande taille. « Il faut savoir adapter la façon de s’habiller selon les manœuvres engagées et la zone géographique car, une fois que l’on est engoncé dans tous ces vêtements, on perd obligatoirement en agilité, » précise l’intéressé.
Nouveau cockpit, nouvelle donne
En prévision de l’inconfort accru à bord des IMOCA de dernière génération, les équipes ont imaginé des cockpits très abrités. « Cela nous permet de manœuvrer sans être trempés jusqu’aux os et de pouvoir observer le bateau, la mer et les voiles autrement qu’entre les gouttes d’un masque de ski ou d’un casque avec visière, comme c’est le cas, pas exemple, sur la Volvo Ocean Race, » explique Sébastien. « Je suis bien abrité sur le bateau et c’était l’une des priorités du cahier des charges de Gitana 16. Cela permet de sortir manœuvrer sans avoir à s’habiller de trop, en tout cas pas comme lorsque l’on doit aller sur le pont. On peut aussi laisser tout ce qui est humide dehors, sous la casquette, et garder l’intérieur du bateau à peu près sec, un gain énorme en terme de vie à bord. Et quand on fait la lessive, car on lave nos vêtements dont le nombre est compté, on peut aussi utiliser la casquette pour les faire sécher. Enfin, cela fonctionne mieux sous les tropiques que dans le Pacifique Sud ! »