De retour à Lorient
Lundi soir, peu avant 19h, et tandis qu’ils animaient l’avant de la course depuis plus de 24h, Sébastien Josse et Charles Caudrelier contactaient leur équipe à terre par l’intermédiaire de son directeur Cyril Dardashti. Le duo d’Edmond de Rothschild lui annonçait sa décision de faire demi-tour et d’abandonner la Transat Jacques Vabre 2015 ; un choix de marin, difficile mais mûrement réfléchi et partagé, face à une série d’incidents techniques sur le gréement qui n’assurait plus la parfaite intégrité du dernier-né des Gitana dans des conditions météos qui s’annonçaient difficiles. Le Mono60 Edmond de Rothschild a regagné son port d’attache lorientais la nuit dernière. Pour Sébastien Josse et les hommes du Gitana Team l’heure est au bilan et au check complet du bateau, même si le skipper n’entend pas rester bien longtemps à terre.
Les explications de l’abandon

Un peu plus de 30h après leur abandon et après quelques 450 milles de convoyage retour, Sébastien Josse et Charles Caudrelier sont de retour à Lorient. Il était 1h la nuit dernière, lorsque le Mono60 Edmond de Rothschild est venu s’amarrer au ponton de La Base. Et ce sont deux marins forcément déçus, mais aussi confiants de leur décision, qui ont été accueillis par leur équipe.

Dès son arrivée, l’équipage revenait sur les faits qui les avaient conduit à faire demi-tour lundi soir : « Comme nous l’avons dit très vite, nous n’avons pas connu d’avaries majeures mais bien une série d’incidents qui combinés les uns aux autres, compte tenu des prévisions météos tempétueuses annoncées (35 - 40 nœuds fichiers et des vagues de plus de 6 mètres), pouvait nous placer dans une situation dangereuse tant pour les hommes que pour le bateau. La météo ne nous laissait pas envisager de fenêtre pour réparer nous-mêmes en mer dans un délai acceptable » rappelait Sébastien Josse avant d’entrer dans les détails : « Nous avons plusieurs petites casses qui tournent autour du gréement. A commencer par l’anti-déjantement du mât. Pour faire simple, sur le pont il y a une boule de pied de mât sur laquelle repose le mât aile d’Edmond de Rothschild. A l’avant de cette boule, il existe une plaque composites qui permet de garder l’espar captif sur la boule et d’éviter que ce dernier ne se retrouve à côté de sa place originelle. Cette plaque a sauté et s’est arrachée du pont, venant ainsi fragiliser la tenue du gréement. Cette découverte s’ajoutait à une autre avarie survenue plus tôt dans la journée. Lors d’un check classique de la plate-forme, nous avons constaté la casse d’une pad-eye d’outrigger* à tribord. Cette petite pièce ancrée sur le franc-bord à l’avant de la dérive n’est pas capitale mais elle fait partie du système de fixation de l’outrigger afin qu’il soit tenu dans sa bonne position et qu’il ne sorte pas de son logement. C’est un peu à l’image d’une épaule avec ses ligaments. S’ils sont rompus ou hyperlaxes, c’est ainsi que l’on peut se déboîter l’épaule. Sur le bateau, la conséquence directe de ce déboîtage aurait été le démâtage… Nous savons qu’à cet endroit et avec la mer attendue, un simple démâtage peut prendre des proportions beaucoup plus importantes.»

* Comme mentionné plus haut, le Mono60 Edmond de Rothschild est équipé d’un mât aile qui se compose d’un tube classique puis de part et d’autre de ce dernier de deux tubes appelés outrigger, qui s’emboîtent au niveau du pied de mât.

« Il n’y a pas de casse énorme donc bien sûr c’est toujours discutable… mais avec Sébastien nous avions le même ressenti au même moment et nous avons laissé parler notre sens marin. Malgré le travail de l’équipe, qui n’a pas ménagé ses efforts depuis la mise à l’eau, le bateau souffre encore de quelques défauts de jeunesse. Bien sûr nous sommes déçus, d’autant que nous étions bien placés, mais il ne faut pas regarder derrière et plutôt se concentrer sur l’avenir et la préparation du Vendée Globe, qui est l’objectif majeur du projet et de l’équipe avec ce bateau. Nous avons abandonné la Jacques Vabre mais cela ne va pas nous empêcher de poursuivre nos navigations avec des axes de travail bien ciblés Vendée Globe. Chaque sortie nous offre de précieux renseignements, tant sur la manière de régler ce nouveau bateau et que sur les améliorations à apporter. C’est un projet bien né avec de belles bases et surtout un potentiel incontestable que nous avons pu mesurer même si malheureusement ça a été un peu court » confiait Charles Caudrelier, le co-skipper d’Edmond de Rothschild.

Le Baron Benjamin de Rothschild est un armateur passionné qui a tout autant le goût de la victoire que la conscience des difficultés à franchir pour y parvenir. Il soutient pleinement Sébastien Josse et Charles Caudrelier dans leur décision : « Le projet du Mono60 Edmond de Rothschild s’inscrit dans une vision à long terme et malgré tout le respect que nous avons pour la Transat Jacques Vabre, qui est une très belle course, l’objectif avoué en construisant ce nouveau bateau est d’aller chercher une victoire sur le Vendée Globe.  Le choix fait par les deux skippers en abandonnant la course est courageux. Ce sont des compétiteurs nés et devoir renoncer par sécurité est un vrai sacrifice pour eux. Mais cette gestion du risque en mer ressemble à ce que nous connaissons sur les marchés financiers. Plus le marché est volatile c’est-à-dire dangereux, plus on peut gagner mais plus on peut perdre aussi. Parfois, il vaut mieux se couper la main plutôt que le bras. Ce que Sébastien et Charles ont su faire très justement. Les décisions les plus sages et les plus intelligentes sont souvent les plus douloureuses. L’équipe est solide et saura rebondir très rapidement. Nous serons naturellement là pour l’accompagner.»

Retour sur un début de course aux avant-postes

Dimanche 25 octobre à 13h30, la flotte de la célèbre Route du Café s’élançait du Havre direction Itajaí au Brésil, au terme de 5 400 milles nautiques. Dans des conditions très légères pour la saison, le Mono60 Edmond de Rothschild et ses adversaires mettaient tout d’abord le cap sur Etretat, pour 16 milles de navigation côtière avant le grand large. Bien inspirés lors du coup de canon, Sébastien Josse et Charles Caudrelier partaient ainsi dans le bon paquet, au vent du gros de la flotte. Mais avec une remontée au près vers les falaises calcaires, les vainqueurs de l’édition 2013 devaient prendre leur mal en patience. Le pain noir sera pourtant vite digéré car dès les bouées d’Etretat virées, le Mono60 Edmond de Rothschild pouvait enfin envoyer le spi et débrider un peu l’allure. Il fallait cependant attendre le début de nuit et le passage de la pointe du Cotentin pour que la cadence accélère franchement au sein de la classe Imoca.

Avec un flux de secteur Sud-Est de 20-25 nœuds au large de Cherbourg, les conditions sont idéales pour démontrer le potentiel des dérives foil dont sont dotés les nouveaux bateaux. Le duo Gitana ne va pas se faire prier ! Et tandis qu’à l’approche des îles anglo-normandes, les options se dessinent avec une flotte qui se scinde en deux groupes (ceux de l’Ouest et de ceux de la route directe cap au Sud-Ouest), le dernier-né des Gitana affole les compteurs : 22,4 nœuds sur les 140 milles qui séparent le Raz Blanchard de la sortie de Manche avec des pointes à plus de 29 nœuds… Edmond de Rothschild imprime son rythme et s’échappe en avant du groupe de l’Ouest. Mais sur la route choisie par Sébastien Josse et Charles Caudrelier la situation n’est pas simple et les conditions météorologiques se dégradent. En effet, se dresse devant leur étrave une dépression atlantique violente avec des vents soufflant au-delà des 35 nœuds et des vagues pouvant dépasser les 7 mètres au plus fort du phénomène. Le bateau, qui rappelons-le a été mis à l’eau le 7 août dernier et n’a ainsi pas connu une très longue phase de mise au point, montre alors quelques défauts de jeunesse ; une succession d’incidents qui n’engage pas le duo à aller jouer à la roulette russe dans la tempête.

C’est ainsi qu’après 30 heures de course, l’équipage du Mono60 Edmond de Rothschild vire de bord et met le cap au 100, direction Lorient, son port d’attache. La Transat Jacques Vabre du Gitana Team est finie ; la déception est bien présente mais la satisfaction de ramener le bateau à bon port l’emporte très vite au sein de l’écurie fondée par le Baron Benjamin de Rothschild.

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