Sacré Indien !

Sur un bord, telle une locomotive lancée sur ses rails, notre Gitana 13 a perforé la partie sauvage de l'Océan Indien, du détroit de la Sonde jusqu'à la proximité de l'île Maurice en avalant près de 2 700 milles (environ 5 000 km) à la vitesse moyenne de 26 nœuds. Un record très officieux et quasiment sans témoin puisque nous n'avons croisé qu'un seul cargo et quelques rares oiseaux durant cette période. Une performance exceptionnelle mais possible avec cet alizé de Sud-Est qui souffle dans la partie Nord de l'Indien en cette saison.

Pour parcourir les 1 900 milles qui nous séparent encore du cap des Aiguilles, la pointe Sud du continent africain, l'affaire s'annonce beaucoup plus compliquée. En effet, la partie Sud Ouest de l'Océan Indien est un véritable tourbillon d'air et d'eau, lié à une configuration géographique particulière et qui fait de cet Océan un des plus redoutés des marins.

Attisé par un gros anticyclone, l'alizé Indien, large et puissant, arrive de l'Est. En se heurtant au rempart infranchissable de Madagascar, il est dévié partiellement vers le sud où il se meure en tourbillons ou en calmes. Dans l'Ouest, l'imposante montagne africaine, chaude et  humide, génère, à intervalles réguliers, des dépressions tropicales qui « décrochent » du relief et s'élancent comme des toupies vers le Sud-Est. Enfin côté Sud, la porte est grande ouverte aux dépressions des 40èmes rugissants qui, profitant de l'espace, remontent vers le Nord,  se cognent brutalement contre le rostre africain et balayent de leurs vents puissants toute la moitié basse du plan d'eau.

A l'instar de cette atmosphère très  tourmentée, les masses liquides s'en donnent à cœur joie ; Tout le long du continent africain, du canal du Mozambique jusqu'au Sud de l'Afrique, le courant des Aiguilles déboule avec puissance et vitesse. Si les vents sont contraires, il lève sur son passage une mer réputée « casse bateau ». De plus, en enroulant l'Afrique, il percute la houle générée par les virulentes dépressions du Grand Sud, dont les grandes ondulations se propagent sur des milliers de kilomètres.
Enfin, les montages sous-marines sont nombreuses ; des pics remontent brutalement de 3 ou 4 000 mètres jusqu'à parfois effleurer la surface. Ils  viennent dévier les courants et accentuer le tumulte des eaux. Bref, un dédale de forces qui s'opposent et se mélangent sans relâche.

Comment se faufiler dans ce labyrinthe météorologique pour rejoindre le Cap de Bonne Espérance ?
Nous mesurons le temps, nous calculons nos chances. Après moult palabres, des scénarii s'ébauchent, des chemins se dessinent. Lequel sera le bon ?

Encore quelques heures de glissades paisibles pour nous préparer au combat, avant le dernier choix. L'équipage s'interroge et se prépare à tout. L'indien a de bonnes flèches, nous avons un bon cheval !

Dominic Vittet, de son tipi flottant

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