L'art de la coupure
A moins de 48 heures du départ des multicoques lancé dimanche à 15h00, le Gitana Team termine sa mission de préparation et soutien technique aux deux trimarans. Pour ce quatuor majeur (Frédéric Le Peutrec & Yann Guichard, Thierry Duprey du Vorsent & Erwan Le Roux), la partition se décline entre relations avec la presse, analyses météo, entretien physique et détente en famille… Avant de prendre le plus rapidement possible, le rythme de l'océan.

Comme pour toutes les courses en équipage réduit (solitaire ou double), le temps précédent le départ est mitigé entre envie pressente d'en découdre et impératifs terrestres. La pression monte non par faute d'une météo musclée mais bien parce qu'après bien des mois à avoir imaginé, préparé, anticipé, analysé, subodoré les scenarii d'une traversée de l'Atlantique, il faut ronger son frein dans l'attente d'un coup de canon qui se précise au fil des heures. Rien de très nouveau sous le soleil du sport mais la spécificité de la navigation océanique est avant tout cette coupure franche en quelques minutes entre un monde de sollicitations et d'explications terrestres, et un océan à traverser où chaque minute est focalisée sur la progression vers le but, la sécurité des hommes, la préservation du matériel, la concentration sur la stratégie, la nécessité de se nourrir, de dormir, de s'entretenir.

« En mer, on est avant tout coupé de nos habitudes terrestres. L'essentiel de notre journée est rythmé par nos quarts, par nos brefs instants de repos, par notre attention constante à la mer. Sur ces trimarans, il n'y a pas de moments sans une part de stress et c'est cette perpétuelle sensation de danger latent qui nous permet de faire face à des situations difficiles. Sans être une obsession, elle nous permet d'être aux aguets, d'être réactifs à la moindre alerte, de puiser l'énergie au moment d'un coup de fatigue. On peut tenir très longtemps dans cet état mais il faut très vite y arriver : c'est la phase de transition entre quitter les quais et entrer dans le match qui détermine la rapidité à intégrer le rythme de la course. Savoir plonger dans le sommeil profond dès les premières heures, ne pas oublier de s'alimenter à hauteur des efforts fournis, dépasser le stade du mal de mer si le « terrain » est agité… voilà qui fait la spécificité de la course océanique par rapport à d'autres sports et même, en comparaison aux régates à la journée. Et puis, il faut noter que la voile est l'une des rares disciplines où les compétiteurs sont interrogés, interviewés, sollicités pendant qu'ils sont en plein match… C'est comme si un footballeur était pris à part pour expliquer comment il a marqué un but ! Ce n'est pas toujours très facile pour nous de basculer de notre monde maritime aux questions terrestres. » Précise Yann Guichard, co-équipier de Frédéric Le Peutrec sur Gitana 11.

Et la bascule va être rude pour cette transat Jacques Vabre : avec 25 nœuds de vent de secteur Sud annoncés pour dimanche 15h00 au Havre, virant rapidement au Sud Ouest avec rafales aux passages de fronts et une mer très forte, la transition terre-mer va être immédiate. « Nous allons partir en combinaison sèche et lors de la dernière édition, il avait fallu attendre huit jours avant de l'enlever… Dès les premières heures de course, il faudra s'obliger à dormir s'il n'y a pas lieu de manœuvrer. A bord de Gitana 11, nous faisons des quarts de trois heures, mais celui qui n'est pas sur le pont doit assurer aussi le suivi météo, les relations avec la terre, s'alimenter, ranger le bateau… et dormir. Or avec six mètres de creux et 25 nœuds de vent, ce n'est pas facile de se libérer la tête les premiers jours pour s'endormir dans une bannette collée sur le bordé pour ne pas être éjecté !

Le bruit, les mouvements, la tension du départ… il faut arriver à se libérer la tête pour récupérer au plus vite. En général, il faut deux à trois jours pour être complètement dans le rythme, être en symbiose avec le bateau, totalement imprégné du vent et de la mer. Avec Frédéric, nous avons déjà connu ces moments-là, ce qui devrait faciliter ce changement corporel et mental. Et c'est important parce que les premiers milles sont toujours l'occasion de se démarquer, de prendre un avantage même s'il n'est que psychologique, de s'imprégner de l'océan. Ensuite, il y a bien des milles à parcourir ! »

L'heure est donc en ce vendredi et pour samedi (départ des monocoques), à l'alternance entre repos et décontraction, et briefings météo et analyses stratégiques. Mais si les journées sont toujours bien occupées, les nuits sont parfois agitées par des rêves et des réveils : histoire d'être déjà en mer…

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