Un départ des Açores demain pour le Maxi Edmond de Rothschild
Ce vendredi, Charles Caudrelier et le Maxi Edmond de Rothschild sont toujours en escale aux Açores mais devraient enfin pouvoir être de retour en course demain. Le skipper du Gitana Team pourrait en effet quitter le port de Horta, où il est venu amarrer le trimaran aux cinq flèches mercredi matin pour éviter le mauvais temps qui sévit en approche des côtes françaises et bretonnes.

Depuis le 7 janvier dernier, Charles Caudrelier met toutes ses forces au service de son rêve et de celui de son équipe : franchir la ligne d’arrivée de l’Arkea Ultim Challenge – Brest en vainqueur. S’il est seul, physiquement, pour mener et manœuvrer un bateau démesuré ; s’il est seul, moralement, face à ses doutes, ses craintes et sa fatigue, il sait qu’à terre, une armée de bonnes étoiles veille sur lui. Dans la tour de contrôle du Gitana Team, une vingtaine d’anges gardiens l’accompagnent, élaborent sa trajectoire, et surveillent l’état de santé du Maxi Edmond de Rothschild. Depuis le départ, eux non plus n’ont pas beaucoup dormi…

Routeurs : trois navigants en garde rapprochée

Sur l’Arkea Ultim Challenge, Charles Caudrelier s’est entouré d’une cellule routage composée d’un trio d’experts-navigants : Erwan Israël, Benjamin Schwartz et Julien Villion. Si les trois hommes se connaissent bien ils n’avaient jamais œuvré ensemble pour un tel exercice. Cloîtrés en autarcie depuis début janvier dans une jolie maison de Larmor-Plage, ils se relaient 24h sur 24 devant les écrans pour dessiner une route optimale au Maxi Edmond de Rothschild vers la ligne d’arrivée, reçoivent toutes les 30 secondes les positions du bateau et ne décollent pas de la messagerie. « Sur ce tour du monde, la priorité était de préserver la machine, de ne jamais être en surrégime. Et c’est un travail compliqué que d’être raisonnable ! » raconte Julien Villion. D’autant plus compliqué que Charles n'hésite jamais à pousser sa machine. « Il nous a impressionné de nombreuses fois », révèle Benjamin Schwartz. « Comme dans ce grain à 38 nœuds de vent en fin d’Atlantique Sud, sous grand-voile haute et J0. J’étais dix fois plus stressé derrière mon ordi que lui sur son bateau ! On a souvent dû tempérer ses ardeurs », poursuit Benjamin. « Il est capable d’aller puiser très loin dans ses ressources », confirme Erwan Israël, routeur attitré de Charles depuis trois ans. « Il y a beaucoup d’humain dans le routage, souligne enfin Julien. Nous ne sommes pas des machines à digérer des fichiers météo. C’est nous qui sommes le plus souvent en contact avec lui. Il faut savoir déchiffrer son état de forme, ses humeurs et nous adapter. »

Les toubibs de la tech team

À terre, parallèlement à la conception du nouvel Ultim (mise à l’eau prévue en 2025), l’équipe technique et le bureau d’études veillent aussi au grain.

Toute la télémétrie du bateau – les informations issues des centaines de capteurs qui équipent le trimaran aux cinq flèches – revient à terre, sur les écrans d‘ordinateur et les téléphones portables des spécialistes de chaque secteur. En plus des données classiques (vent, cap etc...), la gîte, le pitch, la déformation de la plateforme, la pression sur le pilote, l’état de l’hydraulique, des appendices, du gréement, de la structure, la consommation d’énergie… tout est mesuré.
« 650 données nous arrivent par satellite toutes les 30 secondes » explique Nicolas Le Griguer, électronicien du Gitana Team en charge de ce dossier complexe. « Toutes ces données sont analysées par des programmes codés qui comparent les valeurs à des seuils d’alertes prédéfinis. Si les seuils sont dépassés, des alarmes se mettent en route »… de jour comme de nuit. « Quand on se tirait la bourre avec SVR, poursuit Nicolas, ça sonnait une cinquantaine de fois par jour ».

Qu’u Une alarme se déclenche et c’est toute une chaîne de compétences qui se met en branle, étudie les urgences, élabore des solutions.  « On surveille les constantes du bateau, comme un médecin au chevet de son patient. On fait ça tapi dans l’ombre, prêt à bondir s’il y a un souci. C’est notre course dans la course, on est constamment sur le qui-vive», confirme Pierre Tissier, directeur technique du Gitana Team depuis dix ans.

Ces données, très précieuses pour Sébastien Sainson, le directeur du Bureau d’Etudes, permettent d’alerter le skipper en cas de défaillance, ou de charge trop importante sur une partie structurelle du bateau.

Si tous les pépins techniques n’ont pas encore été dévoilés, il est certain que le périple planétaire de Charles n’est pas un chemin semé de roses. « Il savait qu’il aurait une emmerde par jour et ça n’a pas loupé. Nous avons la liste, et c’est du délire, c’est réellement un souci par jour, les petits comme les gros. Il a une incroyable ténacité dans ce contexte. Il s’est arraché pour réparer à chaque fois » souligne Pierre Tissier.

Arrivé en 2007, David Boileau, le boat captain, est un des plus anciens de l’écurie Gitana. Depuis le 7 janvier, il vit « H24 et 7 jours sur 7 dans les startings blocks, et dort avec le téléphone sous l’oreiller ». Comme Pierre Tissier et son alter ego Sébastien Sainson,  il a vu naître le Maxi Edmond de Rothschild et a connu toutes les étapes préliminaires qui ont mené à concevoir, pour la première fois, ce bateau capable de voler en haute mer : le MOD70, transformé il y a 10 ans en bateau labo, puis la mise à l’eau de « G17 » et les années de tâtonnement, de mise au point.

« On était tous inquiets sur notre capacité à faire un tour du monde en solo sur un bateau volant » confie David. « Ce que Charles est en train de faire, avec toute son énergie, son engagement, c’est très gratifiant. On est aussi assez humbles pour se dire que jusqu’à présent, on a eu de la chance de passer à travers les épreuves. Mais on ne sera soulagés qu’une fois la ligne d’arrivée franchie. »

La victoire, si elle est au bout du chemin, s’inscrit dans une profondeur temporelle : 10 ans d’efforts pour passer d’une idée, d’une conviction, à sa réalisation.

Le boss

Cette œuvre collective de longue haleine est une des sources de fierté pour Cyril Dardashti, directeur de l’écurie depuis 16 ans et à l’origine du projet du Maxi Edmond de Rothschild. «Amener ce bateau volant imaginé il y a 10 ans au bout de cette course de pionniers serait une satisfaction profonde pour nous tous. On s’est pris tellement de portes dans la figure… ». En attendant, le stress est le meilleur compagnon de route du boss, dont le rôle est d’orchestrer les partitions d’une équipe d’une vingtaine de personnes, et de synthétiser, entre autres, l’ensemble des informations circulant dans les multiples groupes de discussion – routage, Gitana tech, crise, alarme, alarme perf, terre/terre. « Cette course, c’est de l’inquiétude permanente, dit-il. On sait à quelle vitesse les choses peuvent basculer. Ça devient obsessionnel. Le solitaire en multicoque autour du monde est un exercice vraiment particulier ». Il ne doit pourtant rien laisser paraître de ses inquiétudes. Sa responsabilité est de préserver son groupe et son skipper, avec lequel il entretient une relation privilégiée. « Quand c’est vraiment difficile, qu’il est dans le dur, j’essaie d’avoir les mots pour lui permettre de retrouver son équilibre, le soutenir, lui dire qu’il n’est pas tout seul ».

 

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