Série«5 sens en éveil», le goût
Aux Sables d’Olonne, sous un soleil encore très doux pour la saison, les marins et leurs équipes partagent les allées du village départ du Vendée Globe avec un public encore très impressionnant en cette dernière journée de vacances. Sébastien Josse s’élance dimanche pour une course autour du monde en solitaire et sans escale par les trois caps; une épreuve synonyme de dix à onze semaines de plats lyophilisés et de repas pris en ciré, recroquevillé dans le Mono60 Edmond de Rothschild, où bien évidemment il ne dispose pas de table et encore moins d’une cuisine. Afin de boucler notre série de confidences sur les cinq sens, partons ce mercredi en quête de saveurs, en parlant du goût !

S’alimenter est une question centrale de l’endurance au large. Il faut arriver à bien se nourrir, régulièrement pour avoir assez d’énergie, de façon variée pour garder l’envie et embarquer un minimum de poids pour ne pas nuire à la performance. Ainsi, 90% de la nourriture pour le Vendée Globe est constituée de plats cuisinés déshydratés. Il n’y a pas d’eau douce à bord - bien trop lourd ! -, alors Sébastien Josse utilise un désalinisateur, appareil qui permet d’enlever le sel de l’eau de mer.

#5 LE GOUT

Des menus étoilés

Le skipper de Gitana 16 a la chance de bénéficier des talents de Julien Gatillon, jeune chef étoilé du restaurant Le 1920, table gastronomique du Chalet du Mont d’Arbois, à Megève. Dans ses mains, un calamar à l’Armoricaine, une soupe de lentilles ou un gâteau de semoule deviennent uniques, même lyophilisés. « J’ai aussi quelques plats de Julien en sachets frais pour la première semaine de course, c’est un vrai délice. J’aime également la poutargue, préparation à base d’œufs de poissons typique de Méditerranée, les sardines en boîte prennent aussi des allures de mets de roi ! Tu te rattaches vraiment à ces petits plaisirs. Une fois, j’ai réussi à garder une orange jusqu’en Nouvelle-Zélande. Tu la protèges comme un trésor et quand tu la croques, c’est magique ! » Le marin nous rappelle par ailleurs que l’environnement change forcément aussi la donne. « À la maison, j’aime cuisinier, soigner la présentation des plats mais en mer, tu ne te mets pas à table, tu manges accroupi, en ciré… rien à voir ! » Et en gourmandises alors ? « Pas de chocolat, ni de barres de céréales, mon truc à moi, ce sont les bonbons : réglisse, Carensac, Dragibus, Arlequins, les grands classiques ! »

Le 1920 et le chef Julien Gatillon au cœur du Gitana Team 

Depuis les débuts du Gitana Team dans les années 2000, une attention particulière embellit le quotidien des marins pendant les courses au large : des repas conçus dans les cuisines du restaurant gastronomique Le 1920, au Chalet du Mont d’Arbois, entité du Domaine du Mont d’Arbois fondé par Noémie de Rothschild en 1920 à Megève. Le jeune chef Julien Gatillon, qui s’est vu décerner une première étoile au Guide Michelin 2014 après seulement deux années passées à la tête des cuisines du restaurant Le 1920, puis une deuxième étoile en 2016, leur concocte aujourd’hui des plats spéciaux élaborés avec les équipes du Gitana Team et le skipper Sébastien Josse. Pour l’édition de la Route du Rhum 2014, le cuisinier et le marin ont travaillé ensemble sur des recettes adaptées à la course en solitaire et conditionnées sous vide : un défi audacieux au vu des différences flagrantes et multiples qui opposent les fourneaux raffinés du restaurant Le 1920 et les cuisines des voiliers, nécessairement minimalistes ! Sur le dernier-né des Gitana, la cuisine se résume, en effet, à un réchaud et une bouilloire, équipement rudimentaire qui a contraint le chef étoilé à s’adapter aux conditions de vie du marin.

La première fois que Sébastien m’a invité à naviguer sur un Gitana, explique Julien Gatillon, c’était à la fois fascinant et très surprenant. Naïvement, je pensais qu’il disposait au minimum d’un réfrigérateur et de quoi chauffer des conserves. Mais après quelques heures à bord dans des conditions pourtant relativement calmes, il a bien fallu réviser ma façon d’envisager la cuisine, concevoir des modes de cuisson et de conservation différents qui, en prime, prendraient le moins de place possible et auraient un poids minimaliste 

Le goût c'est aussi...

Le goût de l’effort

« Ah oui, ça je l’ai ! » lance Sébastien, sportif devant l’éternel qui aime surtout les sports d’eau, le surf, le kitesurf, la planche à voile ou le stand-up paddle qui font pleinement partie de sa préparation physique avec le VTT, la course au pied et le CrossFit. « Quand tu as beaucoup travaillé pour être prêt physiquement, tu aimes vraiment quand ça tourne bien, quand tu te sens fort, que tu pousses en sachant que tu ne vas pas te faire mal. Tout est alors plus facile en mer et surtout, quel plaisir ! »

Le goût de la compétition

Surement, l’un des plus importants. Et peut-être le plus fondamental. Celui qui fait naître la décision et l’envie d’y aller. Sans lui, pourquoi s’imposer un univers avec autant de contraintes ? « En compétition, en course au large comme dans tous les sports, tu n’as pas de pitié pour l’autre, » confie Sébastien. « Tu cherches à prendre l’ascendant psychologique sur ton concurrent. Tu le touches quand il se fait mal alors que toi c’est facile. Et à l’inverse, quand toi, tu es à bloc et que l’autre te rajoute une couche, c’est dur. On ne laisse pas forcément parler les plus belles parties de soi dans ces cas-là. On devient hargneux mais c’est ça avoir la niaque. Si un concurrent est en détresse physique, bien sûr qu’il y a de l’entraide mais si c’est une détresse sportive, tu ne vas pas forcément t’attendrir car c’est à chacun de faire son chemin, et de se préparer, parfois plusieurs années, pour pouvoir endurer cela. »

Le goût de soi

« La confiance en soi, c’est très long à construire, cela demande des efforts, des sacrifices, » explique celui qui entame son cinquième tour du monde en 14 ans. « Sur un Vendée Globe, tu alternes entre des moments très hauts et des très bas. Tu es au top et puis cela peut s’écrouler en quelques heures. C’est un condensé de ce que tu peux éprouver dans la vie, tout est dense, intense. C’est quelque chose qui peut être déstabilisant pour certains. Tu en deviens un peu nombriliste mais c’est essentiel de se connaître pour être performant. Tu es face à toi-même. Tu ne peux ni te cacher, ni te faire aider, ni débarquer. Alors tu cherches à mettre tous les voyants au vert ; pas ceux des autres ou ceux inscrits dans le manuel mais les tiens. Malgré tout le travail, tu ne sais pas si tu vas trouver cet équilibre, ce rythme très personnel, les impondérables sont trop nombreux alors il faut y aller, plonger dans l’inconnu, là où se niche la part d’aventure. »

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